05/02/2016 15:46
17 Mars 2015
Le maire de Bordeaux constate la montée de la vague qui porte le parti de la famille Le Pen vers des sommets électoraux. Et il dresse le bilan: "Le ministre de l'Intérieur disait récemment qu'en janvier, le nombre d'actes antimusulmans a dépassé la totalité des actes antimusulmans de l'année précédente. En un mois, autant qu'en un an."
Ce candidat au Front national, qui lui reproche la construction future d’une mosquée et le surnomme « Ali Juppé ». Ces lettres d’administrés qui s’indignent qu’une femme asiatique puisse figurer en une du journal municipal. Cette proposition formulée par Lydia Guirous, secrétaire nationale de l’UMP, absurde et antirépublicaine, allant contre tous les fondamentaux de la laïcité, d’interdire à des citoyennes majeures de porter un foulard sur les cheveux à l’université…
« Ce pays devient fou » dit Alain Juppé, conscient que ces manifestations, de tous bords, succession de réactions et de contre-réactions contribuent, jour après jour, à instaurer un climat dans le pays qui le pousse vers l'une de ces folies collectives dont il s’est fait spécialité depuis Clovis. « Ce pays devient fou » qui, à deux semaines du premier tour des élections départementales, s’apprêterait à offrir au Front national et ses candidats à problèmes entre 29 et 33% de ses suffrages.
Les républicains des deux rives ne peuvent que partager le constat d’Alain Juppé. Combien de fois par jour, ces temps-ci, à l’écoute de la très réactionnaire revue de presse quotidienne de la matinale d’Europe 1, ou en contemplant à télévision la galerie des invités complotistes et extrémistes hebdomadaires de Frédéric Taddéi sur France 2, ne finit-on pas par penser comme le maire de Bordeaux que oui, « Ce pays devient fou » ?
"Ce pays devient fou" qui livre depuis dix ans les ondes et les antennes aux propagandistes de l’engourdissement identitaire qui précède la mort. "Ce pays devient fou" qui se rue dans les librairies pour se réjouir qu’on lui prédise un apocalyptique suicide."
Ce pays devient fou » qui, tous les jours, se lamente en contemplant les courbes des sondages qui annoncent l’inexorable avènement du Front national.
« Ce pays devient fou » qui s’avoue impuissant face à l’inexorable montée des haines.
C’est en cela que la formule d’Alain Juppé, aussi juste soit-elle, peut être gênante, dérangeante, embarrassante. Par définition, ce qui est devenu « fou » n’est plus accessible à la raison.
Il rassure parce que lucide. Il inquiète parce que désespérant. Parce que formulé par un candidat de son calibre à l’élection présidentielle. Parce qu’il souligne l’ampleur de la tâche historique qui attend le prochain président de la République (même un François Hollande réélu).
La lucidité d’Alain Juppé lui a souvent couté cher. C’est que le maire de Bordeaux n’est pas homme à se faciliter la tâche. Les Français exigent souvent de ceux qui aspirent à les gouverner franchise et vérité à condition que cela ne les dérange pas.
A un Juppé trop austère, ils ont préféré, à droite, en 2006, un Sarkozy plus romanesque. En 2015, seraient-ils prêts à recommencer l’erreur ? La Primaire promise en 2016 serait-elle susceptible de voir triompher la raison Juppé contre la passion Sarkozy ?
On ne voudrait pas que la conclusion d’Alain Juppé, « Ce pays devient fou », soit l’aveu d’une impuissance, le constat froid que la folie ambiante n’est plus maitrisable, attisée qu’elle est en permanence par certaines figures médiatiques déresponsabilisées.
On ne souhaite pas que cet aveu soit la tentation d’un renoncement précédant le départ pour Venise. C’est que trop souvent, on a douté de la volonté d’Alain Juppé, de sa capacité à agir en politique.
Et quand on voit les espoirs qui naissent avec la candidature Juppé, à droite comme à gauche, on mesure que l’enjeu dépasse le cadre ordinaire des élections présidentielles des vingt dernières années.
http://www.dailymotion.com/video/x2cx84d_homo-et-d-extreme-droite-qu-est-ce-que-l-homonationalisme_news?start=19
S’agissant d’Alain Juppé, la question est toujours pendante : est-il de la trempe d’un Mitterrand ou d’un Chirac, ou est-il un nouveau Rocard ou Barre ? Est-il prêt à se battre pour être élu, ou pense-t-il qu'il suffit pour entrer à l'Elysée d'y être nommé ?
Le portrait de l’Obs, signé Carole Barjon, apporte un début de réponse à cette interrogation. Alain Juppé, sur son blog, dénonce le « Le FN ou l’imposture ».
On ne lira jamais pareille charge sous la plume d’un Laurent Wauquiez ou d’un Bruno Le Maire, les emblèmes de cette génération de l’UMP qui court après le FN sans avoir compris que Marine Le Pen, c’est la Thatcher à la française, qui aura toujours un coup d’avance sur eux, même au sein des électorats qui étaient autrefois les plus éloignés du FN.
Frédéric Mitterrand n’a pas tort, qui juge qu’aujourd’hui « Marine Le Pen » est la Dalida des pédés », constatant que de plus en plus de gays sont prêts à voter FN pour préserver leur idéal d’un éden sécuritaire.
Alain Juppé peut-il être ce candidat capable de ramener le pays à la raison ? Interrogé sur sa détermination il répond : « Maintenant, il faut y aller », « la mâchoire soudain contractée » souligne la journaliste.
« Y aller », pour sortir un pays qui s’enfonce dans la folie, prêt à voter en masse pour un parti au projet insensé, il faut être plus que gaullien pour s’y atteler.
Sauver un « pays qui devient fou » ?
© L’obs.