8 Octobre 2014
Des millions de personnes à travers le monde en sont victimes. Le sujet alimente une grande réflexion interdisciplinaire qui tenterait de démontrer que les états dépressifs ne font que refléter un malaise social profond.
La dépression est un état mental pathologique.
Elle se traduit par un ensemble de symptômes plus ou moins handicapant pour le malade (insomnie, anxiété, angoisse, asthénie, etc). Cette maladie est souvent difficile à diagnostiquer.
Néanmoins, sa généralisation préoccupe les experts psychiatriques. En France, d’après le psychiatre Charles Melman, 15 % des consultations dans l’ensemble des services des hôpitaux concerneraient des cas de dépression. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), 121 millions de personnes dans le monde en seraient victimes.
Des statistiques accablantes !
L’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé (INPES) rend régulièrement ses rapports remarquablement précisés avec de plusieurs centaines de pages et graphiques de conclusions consacrés à la santé des Français.
Aux Etats-Unis, plus de 20 millions d’Américains seraient sujets à des dépressions chroniques, 35 millions de personnes consommeraient des antidépresseurs et 20 % d’entre-elles auraient des tendances suicidaires sérieuses.
L’écrivain américain Andrew Solomon juge que 20 % des Américains subiront au cours de leur vie une grave dépression et plus de 50 % connaîtront des états dépressifs passagers.
Enfin, contre toute idée reçue, le phénomène ne concernerait pas uniquement les sociétés occidentales.
Les pays du tiers-monde sont également touchés. L’OMS considère à ce titre que les dépressions deviendront vers 2020 le problème de santé n°1 dans les pays en voie de développement. Le monde est ainsi entré dans ce que nomme l’historien Georges Minois « l’ère de la dépression ».
Les états dépressifs sont probablement inhérents à l’homme depuis des millénaires. Mais aujourd’hui, le danger réside dans leur caractère endémique. Ils deviennent, au même titre que la consommation de drogues, une pathologie de masse. Selon le philosophe Gilles Lipovetsky, « la dépression était jadis réservée aux classes bourgeoises, aujourd’hui plus personne ne peut se targuer d’y échapper ». Comment expliquer ce phénomène ? Pour beaucoup d’observateurs, nos sociétés souffriraient d’un manque cruel de repères
L’affaiblissement des croyances religieuses et politiques, l’érosion du pouvoir étatique ou l’absence de plus en plus marquée d’autorités fortes au sein des cellules familiales fragilisent et désorientent les individus.
Le sociologue Alain Ehrenberg pense que « la dépression manifeste ainsi une insécurité identitaire nouvelle liée à ces changements ».Les habitudes sociales et culturelles de la société moderne, moins contraintes et soumises aux interdits, sont aussi accusées de générer un mal de vivre diffus.
Pour Georges Minois : « la société moderne de la liberté, du narcissisme et de la permissivité est anxiogène ».
En effet, la jouissance immédiate est devenue une norme, une philosophie de vie propre à nos sociétés. Les personnes tolèrent de moins en moins toutes formes de frustrations, pourtant nécessaires à l’équilibre psychique.
Pour Charles Melman, le psychisme humain serait en pleine mutation : « nous passons d’une culture fondée sur le refoulement des désirs, et donc les névroses, à une culture qui recommande leur libre expression et promeut la perversion ».
Devant l’absence marquée d’idéaux collectifs, de valeurs communes, et d’autorités solides et influentes, nous pourrions assister à « l’émergence infiniment dangereux d’un fascisme volontaire, une aspiration collective à l’établissement d’une autorité qui viendrait enfin dire ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas faire ».
Malgré cet état de fait, la dépression n’est pas une fatalité. Si elle rend d’avantage visible certains travers de la modernité, elle exprime aussi une aspiration ou un besoin universel de vivre sereinement. La quête du bonheur est à ce prix.